La société française au début du moyen âge
L’incapacité des rois carolingiens occidentaux francophones de maintenir l’ordre est une des principales circonstances des 9ème et 10ème siècles suivants. Les domaines royaux qui les avaient jusqu’alors soutenus, principalement dans le nord et l’est, ont été réduits à néant par l’octroi de subventions à des membres non rémunérés par de nouvelles acquisitions. Entravés par de mauvaises communications, les rois perdirent le contact avec certains comtes et des évêques, tandis que les plus grands comtes et les ducs s’efforçaient de forger des clientèles régionales fidèles à elles-mêmes. Ces princes (comme on les appelait) n’étaient pas des rebelles. Plus souvent alliés avec le roi qu’autrement, ils ont exercé des pouvoirs de justice régaliens, commande et contrainte; c’était généralement eux qui s’engageaient à défendre les colonies et les églises locales contre les ravages des Magyars envahissant l’est, des musulmans sur les côtes méditerranéennes et des Vikings des eaux du nord.
De ces envahisseurs, les hommes du Nord, comme les appelaient les Vikings, furent les plus destructeurs. Ils ont attaqué des domaines et des monastères, saisissant des provisions et des biens. Frappant en 845 à Paris, ils attaquèrent Bordeaux, Toulouse, Orléans et Angers entre 863 et 875. Ils pillèrent Amiens, Cambrai, Reims et Soissons depuis une base. Mais ils étaient surtout attirés par la vallée de la Seine. Entre 856 et 860, ils ont dévasté le pays et ont attaqué Paris par la suite à plusieurs reprises. Parfois, ils ont été refoulés par des moyens de défense mais plus souvent par des paiements de tribut. Après 896, les envahisseurs commencèrent à s’installer définitivement dans la basse vallée de la Seine, d’où ils se répandirent à l’ouest pour former le duché de Normandie . Les raids maritimes se sont poursuivis au 10ème siècle, puis ont diminué.
Des seigneurs tels que ceux des comtes de Flandre, de Paris, d’Angers et de la Provence étaient bien placés pour prospérer dans la crise. Ils étaient souvent issus de ou liés aux rois carolingiens. Ajoutant des protectorats sur des églises à leurs bureaux, domaines et fiefs hérités tout en acquérant d’autres seigneuries et comtés par le mariage, ils ont construit des principautés aussi précaires que puissantes. Les seigneurs ont essayé d’éviter le démembrement du patrimoine en limitant le droit de succession et de mariage de leurs enfants, mais ce n’est qu’au 12ème siècle que ces principes dynastiques ont prévalu dans l’ aristocratie française. De plus, les princes avaient presque autant de difficulté que les rois à assurer leur pouvoir administrativement. Ils ont exploité leurs terres par l’intermédiaire de serviteurs valant moins pour la compétence que pour la fidélité; ces serviteurs, cependant, étaient des hommes qui avaient tendance à se considérer comme des seigneurs plutôt que comme des agents. Cette tendance était particulièrement marquée chez les maîtres des châteaux (castellans ) qui, en l’an 1000, revendiquaient le pouvoir de commander et de punir ainsi que le droit de conserver les revenus générés par l’exercice de ce pouvoir. Ainsi s’achève une dévolution du pouvoir de l’empire indivisé du IXe siècle à un damier de seigneuries au XIe siècle; des seigneuries dans lesquelles le contrôle des châteaux est le principal facteur de succès.
La dévolution du pouvoir a conduit à une politique fragmentée; à tous les niveaux, les seigneurs dépendaient des services de serviteurs assermentés, généralement récompensés par les mandats de seigneurie appelés fiefs (feuda). Au 9ème siècle, les fiefs n’étaient pas encore assez nombreux pour porter atteinte à l’ordre public protégé par les rois et leurs délégués. En effet, les fiefs étaient à l’origine des récompenses pour le service public constitué de terres fiscales (royales); cette pratique a persisté dans le sud jusqu’au 11ème siècle. À ce moment-là, cependant, châteaux, chevaliers et fiefs des chevaliers se multipliaient au-delà de tout contrôle, entraînant une fracture du pouvoir que peu de princes réussirent à renverser avant 1100. Les comtes refusèrent d’admettre que leurs comtés étaient des fiefs ou qu’ils devaient la même sorte d’allégeance aux rois ou aux ducs de la même manière que leurs vassaux. Inutile à la servilité et à la brutalité des chevaliers nécessiteux, le vassalage a tardé à gagner la respectabilité. La multiplication des fiefs était un processus violent d’assujettissement de paysans libres et d’abus d’églises.